Du vent dans un mille-feuille

LA NATURE SANS L’HOMME

Mais quelle idée pouvais-je bien me faire d’une nature vierge ou presque de l’homme ? Ici, je suis confrontée à des formes qui m’étonnent ! LA FORET PRIMAIRE est impénétrable, impraticable, fermée. Les mammifères terrestres y sont eux-mêmes si peu présents qu’on ne peut espérer prendre leur suite en empruntant leurs sentiers.

J’ai grande peine à imaginer la manière dont les 1er peuples vivaient en ces lieux. Sommes-nous contraints de tout dominer pour exister ? Comment faire autrement ? Je suis si ignorante et peu outillée. Cette nature là, a marqué mon corps de griffures. Je suis dans une lutte de proximité. Elle m’oblige à des contorsions.

Si je ne peux poser pieds
sur cette terre, il me faut admirer
la faiblesse de mon corps vaincu
Si petit dans cette immensité nue.

Précisément en me penchant, en poussant, en tirant, en enjambant, je cesse d’être face à ce que l’on nomme un PAYSAGE ! Mon regard s’intègre à mes autres sens. J’œuvre à ma préservation. C’est sans doute aussi cela rencontrer et se confondre. J’y étais parvenu en apnée avec la sensation de l’eau sur la peau, le manque d’air et le corps en suspension. Sur terre, dormir à la belle étoile était une autre voie avec le froid, la lumière de la nuit qui s’étire et la rosée du matin.
Pourtant, je n’étais pas si bien préparé à me trouver dans CES INCROYABLES CANAUX.

Mon goût de la découverte m’a fait quitter mon poste de professeur des écoles pour me retrouver un jour, en botte et tenue complète de grand marin, à l’autre bout de la planète dans les 50èmes rugissants. Il y avait quant même un je ne sais quoi qui couvait au fond de moi ! Je maudissais silencieusement ou presque ces longues heures d’enfermement avec les enfants en classe. Je dormais dans mon jardin au mois d’avril et je rêvait déjà depuis plusieurs années de revivre mes jeunes heures de moussaillon sur les côtes bretonnes.

Pour me rendre à Ushuaïa, je traverse le passage de Magellan.
Hommes et véhicules sont chargés sur le bateau.
Je commence à prendre la mesure de l’endroit qui m’attend.
Je frissonne !

La verdure accompagne,
à l’horizontale.
Que le vent ne mollisse,
et les arbres subissent.

A Ushuaïa en Argentine, ma tête est embrumée mais ce n’est pas grave. Je me sens bien. La ville est poussée par les montagnes et mange la mer. Levée tôt ce matin. Le soleil se lève à peine et tout est gris. Ushuaïa va gentiment se coucher. On entend encore la musique qui vibre et les fêtards qui sortent dans la rue.

D’un noir profond et d’un gris clair dans le sillage du soleil, la mer se fait miroir. Le haut devient bas et le bas devient haut. Les nuages défilent sous mes pieds suspendus au-dessus de l’étrave. C’est un véritable tapis roulant qui semble doux et dans lequel nous serions tenté de sauter… La surface de l’eau est une peau. Elle est parfois parcourue d’une émotion très calme comme aujourd’hui : sans frisson ni colère. Nos pensées peuvent y couler avec lenteur. La mer les absorbe. Et puis soudainement, le reflet du soleil, rond, jaune et parfait, s’anime pour devenir un serpent. Il s’allonge, se contorsionne tout en gardant des contours précis. Puis tout tombe. Et ce qui s’inversait, se confond. Le gris du ciel et de l’eau s’unissent en un blanc opaque. L’horizon n’existe plus et nous sommes suspendus dans un espace uniforme. Le brouillard est là.

Je suis allongée, allongée à plat ventre sur un arbre et je chante. C’est un bel arbre que pour une fois j’avais choisi. Il est penché au dessus de la rivière avec suffisamment de souplesse ou de fragilité pour vibrer au rythme du vent. A la vibration de ma voix, j’ai la sensation de tout nettoyer et de vider les tensions de mon cœur. Je ne sais pas s’il peut y avoir vraiment une continuité entre l’arbre et moi.

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